Les oeuvres avec flûte de

Yoshihisa TAÏRA

"Il est allé chercher en lui-même car sa culture est là. Loin d'être un apparat, un vêtement, elle est sa chair et son esprit. C'est pourquoi sa musique est vraie, unique et authentique. Taira n'est pas un musicien composant de la musique japonaise. Il est simplement lui-même, il écrit sa musique, celle qu'il entend par son être tout entier. Le reste n'a plus d'importance."

Pierre- Yves Artaud

Plus que tout autre instrument, la flûte s'est trouvée au centre des compositions de Yoshihisa Taïra, certainement en raison des interprètes qui ont suscité ces multiples oeuvres, mais aussi à cause du son de la flûte occidentale qui avait cherché, depuis l'après-guerre, à s'ouvrir et s'échapper des stéréotypes pour découvrir toute un gamme d'effets et de timbres inédits. Cette ouverture du son, pour autant qu'elle a pu apparaître anecdotique à certains, a permis d'abolir les frontières entre les cultures européennes et extra-européennes. Sans s'imiter strictement, des instruments aussi différents que le shakuhashi et la flûte Bôhm pouvaient devenir voisins... voire cousins.

 
 

Comme Maurice Ohana, il résiste cependant aux systèmes traditionnels d'analyse en développant plutôt une série de gestes musicaux liés à des notions à caractère symbolique, pictural, suggestif ou poétique. Ce lien avec un au-delà musical fait ainsi partie des traits déterminants de sa musique pour laquelle il aime à souligner que c'est <l'atmosphère qui est justement le thème. Les commentaires qui vont suivre n'auront donc pas l'ambition de déceler une véritable logique à ces gestes musicaux, mais tenteront de mettre en relief les éléments constitutifs de son style ainsi que certaines clés ou principes généraux de composition. L'auteur revendique en effet une grande liberté vis-à-vis des constructions formelles, à son sens indispensables mais non essentielles au langage. Le discours ne s'organise plus en thèmes suivis de développements, la forme n'est plus envisagée a priori mais plutôt comme résultat d'un processus de prolifération.

 

Les oeuvres pour flûte de Taira constituent un monument impressionnant. Le programme de ce disque est encore loin d'en offrir l'intégrale puisqu'on ne relève pas moins de 20 pièces, représentant 5 heures de musique, dédiées à cet instrument.

Une telle mixité culturelle, Yoshihisa Taïra l'a incarnée mieux que tout autre. Il fait en effet partie de ces compositeurs inclassables dont le style ne peut être circonscrit à l'ExtrêmeOrient ou à l'Occident. Ne prend-il pas plaisir à rappeler avec malice que c'est à Paris qu'il a découvert le Japon ? Mais que c'est aussi au Japon qu'on le considère comme un compositeur occidental... En fait, son identité se situe entre les deux, dans une dialectique qui donne à son style quelque chose d'inimitable et de très personnel. Comme l'explique Pierre-Yves Artaud, On commence tout juste à se rendre compte de l'existence de cette contribution, mais sans en mesurer encore toute la dimension historique. Il y a dans l'ensemble de son oeuvre une nouveauté absolue : une authentique musique née de la confrontation des deux cultures très différentes, voire opposées. L'Occident ne célèbre pas les mêmes valeurs philosophiques, spirituelles et sociales que le lapon. Ces modèles artistiques ont choisi des voies originales et la musique utilise ses propres timbres, rythmes, durées, formes et hauteurs. Tenter une synthèse entre ces deux mondes est une entreprise difficile. Si elle fut pendant des décennies celle de nombreux compositeurs orientaux tels Toru Takemitsu, Kazuo Fukushima ou le coréen Ysang Yun, Taira est pourtant le premier à réussir l'alchimie jusqu'à l'élever au niveau d'un langage avec ses grammaire et syntaxe, et à baser toute son ceuvre sur une esthétique qui ouvre à l'évidence un nouveau et immense champ d'investigation .

Si cette production est loin d'être majoritaire dans un catalogue de plus de 70 numéros d'opus, la flûte y est en revanche constamment présente tel un fil rouge depuis 1970 (Hiérophonie ) jusqu'à aujourd'hui, son second duo pour flûte alto et piano (Zephuros) ayant été créé en février 1997. On remarquera tout d'abord l'utilisation très fréquente de l'ensemble de la famille des flûtes et le fait que l'auteur semble attiré par les extrêmes : le piccolo, et surtout l'alto et la basse. La flûte octobasse (due aux facteurs français Jacques Lefèvre en 1984, puis Jean-Yves Roosen en 1988) le fascina immédiatement et Prolifération (1985) lui fut consacré. Seuls quatre morceaux n'utilisent que la grande flûte en ut et figurent d'ailleurs à notre programme : Stratus, Synchronie, Filigrane 1 et Cadenza 1. D'autre part, la variété des partenaires est fascinante : formations de chambre diverses, duos avec harpe ou piano, ensembles avec percussions, concertos avec orchestre (à cordes, symphonique ou de chambre), deux flûtes, quatuors de flûtes, orchestre de 32 flûtes... ! La quasi-totalité de cette musique est dédiée à Pierre-Yves Artaud, que le compositeur avait rencontré alors qu'il était encore élève d'André Jolivet au Conservatoire de Paris à la fin des années 1960, en témoignage de leur amitié. Il va de soi que c'est lui qui en a presque toujours assuré la création, et en particulier (sauf indication contraire) pour les pièces qui suivent.