RECITAL FLUTE & HARPE

Contenu du disque

 

"Le duo flûte et harpe remonte à la nuit des temps. Toute peine cède à la flûte unie à la harpe thébaine..."

Hector Berlioz L'Enfance du Christ, Op. 25 (1854)

La littérature pour flûte et harpe possède une histoire, en définitive, assez singulière. En effet, débutant par le chef-d'oeuvre universel qu'est le concerto KV 299 de Mozart, et alors que les deux instruments sont depuis longtemps associés dans l'imaginaire musical du plus vaste public, elle ne comporte pas un si grand nombre d'oeuvres originales : le XlX siècle n'apportera qu'une mince contribution sous la forme de quelques sonates Ou "Fantaisies", les compositeurs de l'ère impressionniste préféreront une musique de chambre plus élaborée (quintettes pour flûte, harpe et trio à cordes) et la musique moderne ne lui a dévolu que peu de pages véritablement représentatives. Et pourtant... grâce au charme de sa sonorité et peut-être aussi, précisément, en raison du nombre d'arrangements qui ont pallié le manque de répertoire, ce duo connaît depuis ses origines un succès qui ne s'est jamais démenti. Dès l'après-guerre, tous grands artistes lui ont régulièrement consacré des récitals et plusieurs tandems prestigieux Jean-Pierre Rampal et Lily Laskine, Christine Lardé et Marie-Claire Jamet, pour ne ci qu'eux... - ont donné à cette formation lettres de noblesse. Une musique savante sous une forme populaire? Voilà bien une pratique qui s'est souvent révélée la plus convaincante.

La Fantaisie Op . 124 de Camille Saint-Saëns (18351921) nous plonge dans un monde différent. Nous sommes en 1907, dans le Paris de la Belle Époque... mais l'esprit romantique est toujours là, teinté d'un goût pour le spectaculaire et le plaisir musical le plus sensuel. Saint-Saëns, aussi génial "fantaisiste" que musicien inspiré, est l'un de ces compositeurs qui semblent s'abreuver à des sources anciennes et qui pourtant représentent le mieux leur époque. Auteur de pièces descriptives et hautement virtuoses - qui ne connait son "Carnaval des Animaux", sa "Havanaise" pour violon ou son concerto ("Égyptien") pour piano - il ne reniera pas pour autant, à la fin de sa vie, l'influence des impressionnistes. Elle est d'ailleurs tout à fait sensible dans cette Fantaisie, écrite à l'origine pour violon et harpe, et où l'on retrouve parallèlement quelques touches de son talent "exotique" et si démonstratif. L'oeuvre, cyclique, consiste en plusieurs parties enchaînées, d'atmosphères variées mais sans céder à la facilité du contraste abrupt. A l'introduction libre et rêveuse succède un Allegro chaleureux puis une section brillante en forme de scherzo. intervient alors un surprenant épisode, dans un style ancien, où la flûte ornemente sans cesse sur un ostinato de basse, jusqu'à un état passionné. Mais point de concession dans une coda virtuose : le retour au motif initial amène au contraire une fin paisible.  
Le programme que nous proposent aujourd'hui Christine Icart et Philippe Bernold, à en reprenant des pages d'époques et de styles très différents, n'est autre qu'un voyage romantique, chaque étape offrant une nouvelle le facette de l'élégance instrumentale. Celle apparaît sous son visage le plus classique de la sonate en ut mineur WoO 23 de Ludwig Spohr (1784-1859). Violoniste d'immense réputation, ce dernier était marié avec une harpiste virtuose, Dorette Scheidler, et c'est pour eux-mêmes qu'il écrivit sept sonates, une fantaisie et deux doubles concertos avec orchestre. Mais on peut presque considérer ici cette oeuvre comme "authentique" dans la mesure où Spohr avait lui-même prévu dans trois autres de ses sonates( op. 1 13, 114 et 115) la flûte en lieu et place du violon.

Enfin, la célèbre Scène des Champs Elysées extraite d"'Orphée" de ChristophWillibald Gluck (1714-1787) ne nécessite guère de présentation. "Bis" favori des concertistes - et seulement des grands, car elle demande une sensibilité et un sens du style hors du commun elle est l'une des pages les plus significatives et les mieux écrites de tout le répertoire pour flûte et orchestre. Son adaptation avec harpe en accentue encore le mystère et la nostalgie.

 

Denis Verroust La Traversière -Association Française de la Flûte

Afin de compléter ce panorama et pour rejoindre l'esprit populaire dont nous parlions plus haut, l'auditeur se trouvera transporté en plein coeur de la Belle Époque parisienne avec cette Suite de 3 morceaux de Benjamin Godard (1849-1895). Éditée en 1890 et dédiée à l'immense flûtiste qu'était Paul Taffane[, elle représente la "perle" idéale du répertoire de divertissement. A l'élégance et au charme suranné de I'Allegretto succède une idylle charmeuse, tandis que la Valse finale tourbillonne d'une virtuosité hallucinante... pourtant sans jamais quitter une sorte de délicatesse spirituelle du meilleur aloi. Et s'il s'agissait là d'une pièce populaire... dans un genre savant ?
 

Deux autres courtes pages - qui ne sont autres que les "bis" offerts par Philippe Bernold et Christine Icart au terme de leur concert - nous ramènent à l'Opéra. Le Bel Canto italien est à l'honneur avec l'Andante con Variazioni de Gioacchino Rossini (1792-1868). Le public des salons raffolait à un tel point de cette musique que tous les grands compositeurs lyriques ne pouvaient manquer de commettre ici ou là quelques exceptions instrumentales.