LES SIX SUITES POUR VIOLONCELLE de J.-S. BACH à l'Alto

Suite I en sol Majeur BWV 1007

Suite II en ré Mineur BWV 1008

Suite III en do Majeur BWV 1009

Suite IV en mi bémol Majeur BWV 1010

Suite V en do Mineur BWV 1011

Suite VI en ré Majeur BWV 1012

LES SUITES POUR VIOLONCELLE J.-S. BACH


Les Suites pour violoncelle seul BWV 1007 - 1012 répondent à la forme de la suite de danses, telle qu'elle s'est définie durant l'époque baroque et même avant. Les danses, initialement des pièces enjouées, sont transcendées par Jean-Sébastien Bach d'une incroyable manière. Leur force spirituelle, leur beauté majestueuse et leur architecture parfaite en font des oeuvres majeures. On retrouve cette architecture, fondée sur le contraste entre les différents mouvements, dans les Sonates et Partitas pour violon seul, ou encore les suites pour clavier ou pour orchestre. Selon Alberto Basso, "chacune des six oeuvres prévoit la succession régulière des danses "d'usage" - allemande, courante, sarabande, gigue - en insérant entre la troisième et la quatrième un menuet 1 et Il dans les suites 1 et 11, une bourrée 1 et Il dans les Suites III et IV, une gavotte 1 et Il dans les Suites V et VI, en sorte que le recueil apparaiît intérieurement articulé par couple."

Chaque suite est précédée d'un prélude, très différent d'une suite à l'autre, comme ceux des Suites anglaises. J.-S. Bach a été l'un des premiers à organiser et structurer le prélude, lui donnant ainsi plus grande envergure.

La suite de danses est une sorte de pasticcio géographique. Après l'allemande vient la courante, de l'italien corrente, puis la sarabande, qui devrait son nom au danseur espagnol Zarabandas, et enfin, la gigue, d'origine saxonne. Les trois danses supplémentaires, menuet, bourrée, et gavotte, sont des danses populaires françaises.

Chaque suite emprunte une tonalité différente. La première est en sol majeur, la seconde, en ré mineur, la troisième, en ut majeur, la quatrième, en mi bémol majeur. La cinquième suite, en ut mineur, est destinée à un violoncelle "scordato", c'est-à-dire à un violoncelle dont la quatrième corde est accordée un ton au-dessous de la normale. La Suite VI, en ré majeur, est écrite pour un instrument à cinq cordes, un violoncelle auquel s'ajoutent certaines qualités de l'alto. Cette page peut être exécutée sur un instrument à 4 cordes, à condition que l'éxecutant fasse montre d'une virtuosité exceptionnelle.

On ne sait pas exactement quand les Suites pour violoncelle ont été composées. Les deux premières semblent dater de la période de Kôthen (1717 - 1723), et il est probable que les deux dernières soient un peu plus tardives. La première édition des Suites ne parait qu'un siècle plus tard, en 1825, chez Probst à Vienne, sous le titre Six sonates ou études pour violoncelle solo... oeuvre posthume. On peut en effet placer ces oeuvres dans une perspective pédagogique, la difficulté étant croissante au fil du recueil. Malgré tout leur génie, ces pièces ne connurent le succès qu'au début du Xxe siècle. En effet, peu après sa mort, Bach tomba dans l'oubli.


Née en 1962, Françoise Gnéri débute ses études musicales à Brest avant de les parfaire au C. N. S. M. de Paris. Elle y obtient un premier prix d'alto, première nommée, dans la classe de Colette Lequien puis effectue un troisième cycle de musqiue de chambre, aurpès de Jean Hubeau. Lauréate des concours Maurice Vieux (1983) et de Budapest (1984), elle devient membre en 1985 de l'Orchestre de l'Opéra de Paris dont elle sera nommée Soliste en 1989. Après sept ans passés au sein de cet orchestre, elle décide de se consacrer à la pédagogie et enseigne depuis 1992 au C. N. R. de Rueil-Malmaison et au C. N. S. M. de Paris en tant qu'assistante de Bruno Pasquier. Ce sera également pour elle l'occasion de donner des Master-class, tant en France qu'à l'étranger, à Flaine, au Portugal, en Espagne ou aux ÉtatsUnis. Son activité de pédagogue ne limite en rien sa carrière de chambriste, notamment au sein de l'Ensemble Musique Oblique et en duo avec Denis Pascal. Depuis sa rencontre avec Gyorgy Sebok, déterminante pour ses orientations artistiques, on a le bonheur d'entendre cet alto épanoui sur les grandes scènes parisiennes (Châtelet, RadioFrance, Théâtre des Champs Élysées) et dans de nombreux festivals comme ceux de Montpellier, Saintes, Flaines, Montreux ou Saint Nazaire en compagnie de musiciens aussi prestigieux que Roland Pidoux, Christophe Henkel, Philippe Hirschom, Sonia WiederAtherton ou Jean-Pierre Wallez. Une activité musicale aussi intense conduit tout naturellement Françoise Gnéri à prêter son concours pour de nombreux enregistrements (Klein, Mozart, Lekeu, Marx, Sperger, Brahms, Schumann ... ) Son intelligence musicale, doublée d'une technique sans faille, fait de Françoise Gnéri une altiste des plus appréciées du public, et lui vaut les meilleures critiques. Elle est également la fondatrice et directrice artistique du festival de Thonons les Bains.

La période de Kôthen est celle des Concertos Brandebourgeois, des Suites anglaises et françaises pour clavecin, et des Sonates et Partitas pour violon seul, des Ouvertures, des Inventions et Sinfonias, du Clavier bien-tempéré, et de bien d'autres sonates.

Johann Sebastian Bach (né à Eisenach en Thuringe, le 21 mars 1685) devint en décembre 1717 directeur de la musique à la cour du Prince Léopold de AnhaltKôthen. Bien qu'ouverte à la foi luthérienne depuis la fin du l7e siècle, la cour de Kôthen prisait tout particulièrement la musique de chambre. Meilleur organiste de toute l'Europe, claveciniste et compositeur de nombreuses cantates d'église, Bach était aussi violoniste. Il fit l'éloge de son employeur, passionné de musique instrumentale et jouant même au sein de l'excellent orchestre de dix-sept musiciens que Bach dirigeait, et certains pensent que les Suites pour violoncelle auraient été écrites pour lui. Mais les grandes difficultés de ces pièces laisseraient plutôt à penser qu'elles s'adressaient à Karl Ferdinand Abel, ou à Bernard Linigke, violoncellistes virtuoses de grande renommée.

L'épouse de Jean-Sébastien Bach, Maria Barbara, meurt le 7 juillet 1720. Bach se remarie le 3 décembre 172 1, avec Anna Magdalena Wilcken. Plusieurs de leurs nombreux enfants deviendront compositeurs, notamment Wilhelm Friedmann, Carl Philipp Emmanuel et Johann Christian. Bach obtient, le 5 mai 1723, le poste prestigieux de Cantor à l'église Si. Thomas de Leipzig. Il y restera jusqu'à sa mort, le 28 juillet 1750.

Félix Mendelssohn composa une version pour violon et piano de la Chacone de la Partita en ré mineur. En 1853, Schumann après avoir fait de même pour les Sonates et Partitas pour violon seul, commença un travail semblable pour les Suites pour violoncelle. Selon Johann Friedrich Agricola, "Bach jouait souvent ses oeuvres au clavicorde et y ajoutait alors autant d'harmonie qu'il le jugeait utile." D' après Alberto Basso, "Bach admet comme règle fixe cette prolifération du matériel mélodique qui avait été l'une des principales caractéristiques du mode de construction des maîtres français, mais en se rabattant sur des structures polyphoniques et sur un instrument qui n'avait pas encore trouvé le moyen de rivaliser en raffinement et en splendeur avec la viole de gambe. Bach, en somme, inventait le style du violoncelle, et marquait l'aube du déclin du vieil instrument à 6 - 7 cordes."

D'après le mot de Boris de Schloezer, la musique de Bach est "une matière éminemment subtile et fuyante", qui, selon Alberto Basso "se cabre en "arrêts" qui permettent presque de récupérer l'énergie déployée pour mener l'oeuvre à bonne fin." Pour Roland de Candé, Bach est "un grand témoin, à l'horizon prodigieusement étendu, qui n'a jamais cessé d'enrichir son expérience, l'assimilant de façon si géniale que le passé comme le futur semblent sortir de lui." "Dans la musique de Bach, ce n'est pas le caractère de la mélodie qui émeut, c'est la courbe", dit Claude Debussy. Des courbes, des lignes, des traits, des points, des arabesques, c'est ainsi que l'on pourrait aussi décrire les signes tels qu'ils sont tracés sur la partition. Des manuscrits des Suites, on ne saura rien, car l'autographe est perdu. Des copies (toutes différentes) sont dues notamment à Anna Magdalena Bach, à Johann Peter Kellner, organiste et ami du compositeur. La copie d'Anna Magdalena contient malheureusement quelques erreurs. Celle de Kellner, réalisée en 1726, paraît plus exacte, bien qu'incomplète.

Jean-Sébastien Bach transcrit de nombreuses oeuvres, notamment de Vivaldi, Pergolèse, Palestrina, Frescobaldi, ou encore Corelli... Il a lui-même transcrit pour luth (BWV 995) la cinquième suite pour violoncelle. Les transcriptions des oeuvres de Bach constituent quant à elles un catalogue considérable, et extrêmement varié. La transcription des Suites pour violoncelle à l'alto donne à ces oeuvres des facettes originales et passionnantes, et perce d'une nouvelle façon les infinis mystères qu'elles détiennent. L'alto, plus rapide d'émission que le violoncelle, donne aux Suites, et notamment dans les mouvements rapides, une vivacité, une finesse, et une légèreté qui surprennent et ravissent l'oreille...


Raphaël Hauvain-Chemin