Antonio Vivaldi

Compositeur italien (Venise, 1678 - Vienne, 1741)

Celui que les Vénitiens surnommèrent «il Prete rosso» est le musicien italien le plus célèbre de la fin du baroque : au nombre impressionnant de ses cantates, oratorios ou opéras s'ajoute une production sans précédent d'oeuvres purement instrumentales, notamment de concertos, dont Vivaldi fixera la forme en trois mouvements, et parmi lesquels les seules Quatre Saisons, inlassablement jouées et rejouées, suffiraient à sa gloire.

À la fois prêtre, virtuose du violon, professeur dans l'un des hospices de jeunes filles les plus réputés de Venise, compositeur de musiques profane et religieuse, chef d'orchestre, directeur de théâtre et imprésario, Antonio Vivaldi est un personnage énigmatique qui, célèbre en son temps, a été redécouvert au début du XX' siècle, après une longue période d'oubli.

Antonio Vivaldi est le premier enfant d'une nombreuse famille : il aura six frères et soeurs. Son père, violoniste à Saint-Marc et musicien de théâtre, participe à l'extraordinaire vitalité musicale de la cité des Doges et figure parmi les fondateurs d'une importante corporation de musiciens. C'est Giovanni Battista Vivaldi qui apprend le violon à son fils - celui -ci acquiert très jeune une technique suffisante pour le remplacer à la chapelle ducale -, tout en le poussant, afin d'assurer son avenir, à épouser la carrière ecclésiastique -, ainsi, dès l'âge de dix ans, Antonio se prépare-t -il à la prêtrise. Il reçoit la tonsure à quinze ans, devient sousdiacre dès 1699, diacre l'année suivante ; il est enfin ordonné le 23 septembre 1703. Sa situation religieuse - la chevelure flamboyante dont sont dotés la plupart des Vivaldi lui vaut d'être surnommé il Prete rosso (« le Prêtre roux ») - est assortie de quelques aménagements : par exemple, après une année, il est dispensé de dire la messe. Dans une lettre à l'un de ses protecteurs, Vivaldi s'en expliquera : des crises d'asthme l'auraient alors mis dans l'impossibilité de célébrer les offices.

Ces problèmes de santé ne l'empêchent pourtant pas de briguer, et d'obtenir, en 1704, le poste envié de professeur de violon à l'Ospedale della Pietà («hospice de la Piété»). Il devient bientôt maître de concerts de ce même établissement, poste qu'il conservera de façon intermittente jusqu'à sa mort. Destiné à accueillir de jeunes orphelines, l'hospice est alors très réputé pour ses concerts, comme d'autres institutions du même genre qui accueillent malades ou indigents, tels les Mendicati, les Incurabili ou l'Ospedaletto di Santi Giovanni e Paolo. En effet, les jeunes filles y reçoivent un enseignement musical intensif : elles apprennent le chant et pratiquent toutes sortes

d'instruments. Ainsi, Vivaldi aura la possibilité de faire jouer ses oeuvres par d'excellentes musiciennes - parmi les quelque 1000 pensionnaires, les 70 à 100 plus douées ont formé un orchestre, et les meilleures chanteuses peuvent, par mesure de faveur, être employées dans les théâtres de la ville -, et il verra bientôt ses nombreux concertos et ses compositions religieuses interprétées lors de représentations très appréciées des amateurs.

Depuis Claudio Monteverdi, Venise dispose de la plus importante école d'opéra, et la ville compte alors sept théâtres. Parallèlement à son enseignement, Vivaldi mènera une carrière mouvementée de compositeur d'opéra et d'imprésario au théâtre Sant'Angelo. Dans plusieurs de ses opéras, il écrira le rôle principal pour Anna Giraud, une ancienne élève, d'origine française, surnommée «la Giro», qui s'attache vite à sa personne.

En 1718, Vivaldi se rend à Mantoue, où Philippe, landgrave de HesseDarmstadt, a installé sa cour : Vivaldi, qui lui offre ses services, sera son maître de chapelle jusqu'en 1722. Deux ans plus tard, le musicien entamera une série de tournées à travers l'Europe, jugées trop longues - elles s'étendront sur douze années - par les autorités de la Pietà, où il retrouvera toutefois sa charge en 1735. Afin d'assurer la propagation de ses oeuvres, le compositeur prend un soin particulier à les éditer. Il s'adresse tout d'abord à des éditeurs vénitiens, puis, mécontent de leurs services, remet ses partitions entre les mains d'Estienne Roger, à Amsterdam. Ainsi sa réputation ne tarde-t-elle pas à gagner l'Europe entière ; l'empereur Charles VI lui rend visite ; il participe aux fêtes musicales célébrant le centième anniversaire du théâtre d'Amsterdam. À Rome, il montera, trois années de suite, à l'occasion du carnaval, des opéras qui remporteront un grand succès, et ce prêtre qui ne dit pas la messe sera reçu avec bienveillance par le souverain pontife. Le plus grand dramaturge vénitien, Carlo Goldoni, collabore à deux de ses livrets. Mais soudain, en 1740, Vivaldi fait ses adieux à la Pietà et quitte Venise : on ignore pour quelles raisons il entreprend ce voyage et quel en est le but. Il meurt à Vienne, le 28 juillet 1741, dans une certaine pauvreté et apparemment oublié.

Vivaldi composa au moins 454 concertos cette énorme production s'explique à la fois par la nécessité de renouveler les concerts de la Pietà et par sa prédilection pour un genre musical, le concerto de soliste. Il contribuera à l'imposer sous la forme d'une composition comprenant trois mouvements - allegro, adagio, allegro - au cours desquels le soliste alterne des traits de virtuosité avec les tutti de l'orchestre. Cette émancipation du rôle du soliste correspond à l'influence grandissante de la musique lyrique sur la musique instrumentale, qui se manifeste par l'emploi d'ornements et le développement du mouvement lent. Celui-ci n'est plus traité comme une transition, mais comme une mise en valeur de la mélodie. Toujours attentif à leur diffusion, Vivaldi entreprendra de rassembler ses concertos dans des recueils ; ainsi, les premiers concertos publiés sont regroupés sous le titre général L'estro armonico : il s'agit de douze concertos pour un, deux, trois ou quatre violons.

Tout au long de son oeuvre, Vivaldi développera un style très personnel, caractérisé par une dynamique importante du rythme, des contrastes de masses sonores fréquents, des marches harmoniques et des basses simples, souvent répétées. Les mélodies sont fréquemment construites sur des arpèges, ce qui renforce le sentiment harmonique. Le compositeur accorde une importance rare pour l'époque au timbre instrumental, mettant en valeur les cordes de façon remarquable. L'intérêt de Bach, qui prendra la peine de recopier, puis de transcrire au moins dix concertos de Vivaldi - pour orgue, pour clavecin ou encore pour quatre clavecins, montre que ces compositions sont dignes du succès public qu'elles n'ont cessé de rencontrer depuis leur redécouverte.

Vivaldi est à la fois imprésario et compositeur d'oeuvres lyriques : chargé de la gestion du théâtre Sant'Angelo, il crée ses opéras selon les goûts de l'époque. On a pu associer plus d'une quarantaine d'opéras au nom de Vivaldi, pour la plupart dans le genre de l'opera seria, dont seulement une vingtaine de partitions ont été retrouvées. Celles-ci se présentent comme une succession d'airs tout à fait représentatifs de l'art lyrique de son époque. Goldoni évoquera dans ses souvenirs l'absurdité des intrigues dans les sujets choisis et l'absurdité de la répartition des airs, soumise au caprice dictatorial des chanteurs. La mise en scène est souvent des plus fantaisistes, tandis que le public vénitien s'intéresse souvent plus aux prouesses vocales qu'à la qualité de la musique. Benedetto Marcello fustigera les excès de l'opéra vénitien de cette époque dans un pamphlet, Il teatro alla moda, qui épingle principalement l'oeuvre lyrique de Vivaldi.

La musique religieuse de Vivaldi est moins connue que sa musique profane instrumentale ; elle se situe pourtant dans la tradition de Saint-Marc et possède une majesté héritée de compositeurs comme le FI amand installé à Venise Adriaan Willaert (vers 1485 -1562) ou encore Andrea Gabrieli (vers 1510 -1586). La basilique SaintMarc abrite alors deux tribunes opposées, munies chacune d'un orgue et pouvant accueillir deux choeurs, tribunes dont les compositeurs exploitent l'effet théâtral de spatialisation en écrivant des réponses en écho, élément caractéristique de l'école vénitienne. Vivaldi mettra en pratique ce système dans plusieurs oeuvres religieuses, comme le Kyrie à huit voix et certains psaumes. Il adopte également le principe du double choeur pour des compositions profanes : concertos, opéras. Pour ses élèves de la Pietà, il crée un oratorio religieux, Juditha triumphans (1716) ; avec des combinaisons instrumentales recherchées et des arias parmi les plus beaux qu'ait jamais écrits le compositeur, cette oeuvre, qui représente une synthèse entre le style religieux et profane, illustre plus que tout autre le talent multifonne du Prêtre roux.

A Venise, la cité de marbre et d'eau qui donne vie à ses fantasmes baroques, la musique est plus qu'une institution au XVIII' siècle : un symbole que réinventent au quotidien les fameux Ospedali (hospices), ces établissements charitables où l'on recueille les enfants abandonnés (ou illégitimes) en leur offrant une éducation générale et surtout musicale plus ou moins poussée, selon les dispositions des sujets.

Pour autant, il ne faudrait pas croire que la misère de ces enfants soit synonyme de situation artistique au rabais. Le niveau des Ospedali où enseignent et s'activent les plus grands noms de l'école vénitienne - de Legrenzi à Vivaldi - est bien connu dans toute la République, et hors d'elle, et les dilettanti (amateurs) se pressent aux concerts qui s'y donnent à la suite de l'office du Dimanche, chaque semaine. Une image médiatique, en quelque sorte, qui contribue au prestige et à la survie matérielle de ces coûteuses institutions.

Ces pieux concerts deviennent alors de véritables phénomènes de société, surtout dans un lieu comme la Pietà, le plus illustre des Ospedali. Là bas, la star s'appelait Vivaldi, dont le nom suffisait à rassembler les foules (les remous autour de sa vie privée - notamment les amours, vraies ou supposées, qu'on lui prêtait avec une mezzosoprano dénommée Anna Giro) n'ont pas peu contribué à alimenter cette popularité.

Mais ici, une précision s'impose quant à la nature des charges musicales qui incombaient à Vivaldi à la Pietà. Parmi les fonctions qui lui étaient conférées, celle de violoniste l'emportait sur le maître de chapelle proprement dit, poste qui était a priori confié à un chanteur ou à un organiste. Aussi, sa production sacrée (plus de cinquante partitions, miraculeusement retrouvées dans les années 1920 et conservées depuis à la Bibliothèque nationale de Turin) est-elle le fruit de commandes ponctuelles, directement adressées au compositeur (par suite de l'indisponibilité du maître de chapelle en titre ou de toute autre raison).

Le Magnificat, RV 611. Très jouée du vivant du compositeur, cette partition date de la période 1713 - 1717. Vivaldi en donnera deux autres versions aux environs de 1720 et 1739 (RV 611).

C'est un Vivaldi proche de la tradition ancienne, connaissant les fastes de la polyphonie, que révèle ce Magnificat. Le Prêtre roux n'a pas voulu se laisser gagner par la fièvre théâtrale qui contamine l'univers musical vénitien. La fantaisie de son imagination musicale est ici sous l'emprise de la liturgie à l'ancienne. Mais on y trouve déjà les qualités qui placent Vivaldi à la jonction du baroque finissant et du classique : la représentation expressive des mots, l'emploi du contrepoint luxuriant, le style concertant et l'extrême clarté des thèmes. Inspiré par un sentiment religieux sans exubérance, Vivaldi a composé une musique qui est adéquation avec l'humilité et la joie exprimées par la Vierge. Il emploie les moyens qui lui sont déjà habituels des thèmes longs, utilisables par fragments, ou au contraire très courts et injectant le style du concerto dans le tissu musical ; une écriture horizontale fuguée, suivie de ponts verticaux ; des choeurs syllabiques dont la mélodie restreinte, proche de la psalmodie, avance en valeurs longues ; des solos ou duos accompagnes avec parfois des instruments obligés une harmonisation teintée de chromatisme qui se réclame du madrigalisme.

Le Credo en mi mineur RV 591 est une oeuvre qui présente un aspect particulier de l'écriture musicale de Vivaldi. Bien que le texte chanté soit plus long que celui du Gloria, la composition est nettement plus brève. L'oeuvre est en quatre mouvements dont le premier et le dernier sont fondés sur la même substance comme bien souvent chez Vivaldi. Entre ces deux allegros se situent deux mouvements lents à savoir un adagio sur le texte Et incarnatus est suivi d'un largo dont l'expression particulièrement profonde traduit d'une manière admirable le texte crucifixus etiam pro nobis. L'écriture de ce mouvement est fuguée et s'oppose au caractère homophone et plus simple des autres mouvements.

Le Gloria en ré, RV 589. Cette pièce vocale fait certainement partie de la "Messe" citée par les directeurs de la Pieta dans une résolution accordant à Vivaldi les émoluments spéciaux de 50 ducats attribués d'ordinaire annuellement au maestro di coro. L'itroduzione Ostro picta, annata spina, prévue comme préface d'une mise en musique du Gloria, fait référence dans son texte latin a la fête de la Visitation de la Sainte Vierge (le 2 juillet), laquelle, en tant que fête patronale de la Pieta, était une très bonne occasion d'introduire de nouvelles oeuvres à son répertoire; il est donc possible que le RV 589 ait été composé spécialement pour la fête de 1713 ou peut-être de 1714.

Il s'agit d'une oeuvre à grande échelle divisée en douze parties bien contrastées sur le plan du tempo, de la tonalité, de l'orchestration et du style musical. La mise en relief des vents (hautbois et trompette) en tant qu'instruments obbligato et l'attribution des parties vocales solos aux seules voix aiguës sont typiques du répertoire de la Pieta. Contrairement aux trois autres ospedali, la Pieta cultivait de véritables registres de ténor et de basse dans les parties chorales, bien qu'ici la basse soit doublée instrumentalement à chaque fois qu'elle atteint un registre modérément grave.

Dans toute discussion sur la musique vocale de Vivaldi, c'est presque un truisme que de dire que le style de l'écriture instrumentale et le traitement de la forme dans les mouvements choraux plus longs ont été influencés par ses concertos. Il faut cependant accentuer la maîtrise avec laquelle Vivaldi, étant donné sa formation, a réussi à écrire pour la voix d'une manière non instrumentale, à la doter d'une expression tout a fait idiomatique.