"La grande école française du piano" Ce coffret regroupe, en six CD, plus de 90
pianistes français dont Bernard RINGEISSEN et Denis
PASCAL, dans des pièces de Reynaldo Hahn et Liszt... |
Le piano est un instrument
relativement récent. Que sont trois petits siècles en
comparaison des millénaires où se perdent les origines
de la flûte, de la harpe, de certains précurseurs du
violon et même de l'orgue, dès l'Antiquité ? Et
pourtant, aucun de ces instruments, malgré leur
longévité et leur universalité, n'a remporté le
succès que connut ce nouveau venu après seulement
quelques dizaines d'années de légitimes balbutiements.
Pas un surtout n'a suscité une littérature aussi riche,
aussi variée, explorant et exploitant avec un égal
bonheur tous les genres musicaux, du plus savant au plus
populaire. Lorsqu'à la fin du XVII, e siècle le piano atteignit un premier niveau d'excellence de facture, il ne lui fallut pas vingt ans pour supplanter définitivement le clavecin. Ses sonorités nouvelles, plus douces, modulables surtout au loisir du jeu de l'interprète, correspondaient parfaitement au goût préromantique du moment. Mais indépendamment de cela, il faut voir dans l'incroyable succès du piano une extraordinaire réussite sociale et industrielle. Dès les premières années du XIX e siècle, les fabriques fleurissaient chaque année un peu plus nombreuses partout en Europe (puis en Amérique, au Japon, ailleurs ... ), chacune y allant de ses innovations, de ses commodités, n'hésitant pas à demander l'aide publicitaire de certains grands compositeurs (Chopin vantait les pianos Pleyel et son ami Liszt ceux d'Erard ... ) pour garantir son image de marque. Si les pianos à queue restaient des instruments chers, l'invention géniale du piano droit en réduisit tellement le coût que l'on put le retrouver dans les écoles, les salons des petits boutiquiers, les cafés, bientôt les salles de cinéma... enfin partout où le besoin de musique se faisait sentir, à une époque où le piano tenait ce même rôle récréatif et éducatif qu'occupent aujourd'hui pour nous le disque et la radio. Socialement, le piano était indispensable à l'éducation des enfants (et spécialement des jeunes filles) d'un milieu qui s'étendait assez largement de la petite bourgeoisie à la plus haute noblesse. Pour donner une idée de la demande, on dénombrait à Paris en 1862 pas moins de 20.000 professeurs de piano ! Sans compter que cet instrument encombrant, ce meuble véritable, " posait " son propriétaire, lui donnait véritablement un statut dans la société (comme la télévision et la machine à laver le seront dans les années 1960). Chaque pays mettant en avant ses propres instruments, il se créa simultanément des écoles pianistiques nationales, où, autour de grands théoriciens, défilaient des générations d'élèves, qui, à leur tour, transmettraient le savoir de leurs maîtres. A titre d'exemple, on citera l'opposition tranchée entre le style viennois (promulgué par Hummel, Moscheles ou Czerny), qui exigeait une grande égalité de toucher, de la rapidité, de l'éclat aussi, et celui de l'italien Clementi, chantant et lié. Ou encore, beaucoup plus tard, l'éducation très particulière de la grande école russe, si bien caractérisée. Paris et la France n'échappèrent pas à la règle, et connurent aussi leurs grands maîtres (parfois étrangers, d'ailleurs ... ) qui élaborèrent quelques particularités techniques et une esthétique élégante et claire. Si l'histoire oublie facilement certains éminents professeurs, elle se souvient mieux de ceux qui furent aussi des interprètes de renom. Citons : Isidor Philipp, Blanche Selva, Marguerite Long, Lazare-Lévy ou encore Alfred Cortot et Yvonne Lefébure, qui contribuèrent à perpétuer l'Ecole française, mais en y apportant aussi chacun sa propre marque assez caractéristique. Mais ce qui fut vrai, et très observable jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, apparaît aujourd'hui beaucoup plus diffus. Non seulement les facilités de transport ont considérablement réduit les ostracismes et le chauvinisme artistique, mais il apparaît aussi très clairement que la diffusion du savoir musical, grâce à l'enregistrement, a autorisé au novice une culture universelle des styles pianistiques absolument inenvisageable autrefois. A certains de déplorer cet état de fait, de trouver que cette mondialisation des styles, en les fondant, les a appauvris. Il demeure que si cette uniformité existe, elle ne saura jamais gâcher un talent original, une forte personnalité : et c'est après tout ce qui compte le plus. Présenter le meilleur du piano français depuis une cinquantaine d'années ne mettra guère clairement en évidence une identité particuliere à une école hexagonale, (bien qu'au travers de certaines filiations se soient transmis quelques caractères propres à l'un ou l'autre illustre devancier), mais cela permet très judicieusement de prendre la température musicale du moment, de clarifier notre goût, car ce que l'on aime dans l'art du piano aujourd'hui n'est pas commun à ce qui plaisait à nos pères. Toutefois ce qu'à mon sens ce coffret offre de plus indispensable demeure la découverte d'interprètes remarquables, notamment de très jeunes, qui seront pour certains les " grands " de demain, et aussi de retrouver avec plaisir des oeuvres qui ont bercé nos enfances aux côtés d'autres pages plus rares qui illustrent parfaitement la diversité extraordinaire du répertoire pour piano. Ballade avec les pianistes français d'aujourd'hui et ballade dans trois siècles de musique aussi : le beau voyage Philippe Simon The piano is a relatively recent instrument. What are three little centuries compared with the millennia that have blurred the origins of the flute, harp, certain early violins, and even the organ since the beginning of time? Yet none of thèse instruments, despite their longevity and universal appeal, equaied the newcomer's success after only fiftyyears orso of legitimate faltering. To be sure, none has inspired such a rich, varied range of literature, easily exploring and exploiting any musical genre from the most sophisticated to the most common. When piano manufacturing reached an initial level of excellence at the end of the 18th century, it was not long before the new instrument definitively replaced the harpsichord. Its novel, softer sound, easify adjusted at the performer's leisure, coincided perfectty with the pre-Romantic tendencies of the time. Yet apart from its artistic appeal, the incredible success of the piano should be recognized as an extraordinary social and industrial phenomenon. Starting in the 19th century, factories sprang up all over Europe with increasing frequency (ther- in America, Japan and elsewhere), each making its own contribution in terms of innovation and convenience. Manufacturers did not hesitate to enlist the support of certain great composers in advertising their brands, thus securing their images (Chopin played Pleyel pianos, his friend Liszt played Erards). Though grand pianos remained expensive, the wonderful invention of the upright reduced the costso significantly thatpianos could soon be found in schools, storekeepers' sitting rooms, cafés, and eventually movie theaters - in short, wherever the need for music became apparent. The piano took on the recreational and educational role that is fulfilled by records and radio today, Socially speaking, the piano was an indispensable educational too/ for children (especially girls) in a milieu ranging from the lower middle class to the highest nobility. To give an idea of the demand, in 1862 there were no less than 20,000 piano teachers in Paris! Not to mention the fact that the cumbersome instrument, a veritable piece of furniture, "established- households by constituting a society status symbol (much like the television and the washing machine in the 1960's). As each country sang the praises of its own instruments, it developed a distinct -school" or style of piano teaching. Surrounded by great theoreticians, generations of pupils passed through and consequently passed clown their mentors' teachings. For example, reference is often made to the marked contrast between the Viennese style (promulgated by Hummel, Moscheles and Czerny) which emphasized an even touch, speed, and brilliance, and the songlike, flowing Italian school of Clementi. Then, much later, came the very distinctive, strongly characterized teachings of the great Russian school. Paris and the rest of France were no exception; they too had their share of great masters (some of them foreign, incidentally) who elaborated certain technical elements and an elegant, clear quality. Though time has forgotten the most eminent piano instructors, it has remembered those who were also renowned as performers. To name a few: Isidor Philipp, Blanche Selva, Marguerite Long and Lazare-Lévy, as well as Alfred Cortot and Yvonne Lefébure, who fostered the perpetration of the French school while aciding their own rather characteristic touches. Such was the case at the time, in evidence until World War fl; today, however it appears much more diffuse. Not only did the facilitation of tran considerably reduce ostracism and artistic prejudice, it is also clear tha transmission of musical knovviedge, with the development of recording, began providing novices with a worldwide exposure to piano styles that was utterly unimaginable in earlier times. Some understandably regretted this evolution, feeling that the globalization of styles would rob them of their individuality by melting them together But the fact remains that although a certain uniformity has emerged, it cannot suppress an original talent or strong musical personality - and after ail, thats what counts most. This presentation of the best in French piano in the last fifty years will hardly bring a distinctive French school clearly to light (though some filiations have perpetrated certain illustrious predecessors'characteristics). It wili, however give a judicious indication of the musical climate of our times, allowing us to clarify our preferences, for todays art of the piano is vastly different from that of our forefathers. Nevertheless, 1 believe this box set is most indispensable in providing the opportunity to discover remarkable performers, some of whom a ne very young and will surely be dubbed the "greats" of tomorrow. Equally important is the opportunity to rediscover the works we grew up with, combined with other rare compositions that perfectly illustrate the extraordinary diversity of the piano repertoire. A stroll with todays French pianists, and a stroil with three centuries of music - not a bad outing! Philippe Simon |